Sous le choc

Les petits pas vers la simplicité volontaire m’amènent de plus à plus à réfléchir sur le sens du travail.

Le travail en général, celui qu’on fait pour gagner de l’argent, pour se loger, se nourrir. Le travail dans les pays hypocritement appelés en voie de développement, le travail ici, le chômage aussi.

Les petits boulots que j’ai fait pendant mes études, avec cette fierté que je trouve maintenant en partie imbécile de travailler – même un job sans aucun intérêt, même en étant exploitée, humiliée. Travailler, c’est bien, ça ne se discute pas.

Et puis mon métier à moi, que j’ai choisi, que j’ai conquis, qui m’apprend énormément. Mais que je remets en question, aussi. Où est la limite entre compromis et compromission ?

Le travail des autres, ceux qui osent, souvent en association : cinema d’art et d’essai rural itinérant, médiathèque associative, librairie libertaire, berger, baroudeur, écrivain, paysan. Ceux qui ont tellement noué leur vie et leur travail qu’on ne peut séparer l’un de l’autre, mais dans la joie.

Je pense à tout ça, je lis, je me documente, je discute, je m’interroge.

Et puis cette vidéo, et le malaise, de plus en plus. Je me tortille sur ma chaise, m’échappe à la cuisine me faire un thé, reviens, repars.

A la moitié du film, mon ventre se noue. Je reconnais ce pays plongé dans la nuit, ces paysages qu’on ne voit que quelques secondes. Sur un panneau le nom de la ville où je suis née. Et cette voix, qui pourrait être si douce, et qui est sacadée, emprisonnée dans un rythme mécanique. Les mots insupportables d’une vie insupportable.

La colère et le dégoût mouillent mes yeux.

Ce soir je ne pourrai pas parler du travail. Je ne serai pas rationnelle, je ne réfléchirai pas. Ce soir je vais juste m’efforcer de reprendre le fil de ce témoignage impitoyable, en apaisant les sursauts de mes tripes. Un peu comme lorsque j’avais lu ça. (Bouleversée jusqu’à la fêlure. Mais une fêlure ô combien nécessaire. Merci Caco.)

Et je vais me dire que tant que je peux m’indigner, c’est que je suis concernée. mais aussi que l’indignation seule ne sert à rien sinon à me donner bonne conscience.

Alors quoi ?

Je ne sais pas encore, mais quelque chose en moi a bougé.

5 Réponses so far »

  1. 1

    Mary said,

    Film bouleversant qui forcément fait réfléchir.

    Sur le fond, j’adhère : manipulation du marché du travail, manipulation à la consommation….

    Sur la forme, j’ai un point où je bloque. Les gens qui mènent une vie sans travail touche un revenu RMI pour vivre. Ce revenu est basé sur la solidarité imposé aux salariés (ce n’est pas une solidarité volontaire) pour aider les personnes sans emploi par l’intermédiaire de cotisations. Si le travail salarié ne cotisait pas, ces personnes ne toucheraient rien.

    Je crois que lorsqu’on veut sortir du cercle du travail, on s’engage dans une vie différente, vers un partage, une solidarité volontaire, mais non une solidarité imposée.

    En bref, si on a besoin d’argent, meme 300 ou 400€ a t on vraiment le droit d’en profiter sans rien faire???? ça me choque un peu.

  2. 2

    mowgli said,

    Tout à fait d’accord avec Mary.
    Il y a tellement de souffrance pour certains dans ce film (le type qui travaille à la chaine- yeux humides et estomac noué et nausée, comme tu dit) qu’on ne va pas cracher dans la soupe non plus.
    Mais comme base de reflexion collective, c’est un peu insuffisant, puisque pour vivre comme cela (même chichement), il faut que d’autres travaillent. Sortir du système complètement supposerait de renoncer au RMI / allocs, et la on entre dans une reflexion complètement différente, genre communautés de vie solidaires ou le max est produit par soi même. Un piste à envisager, sur laquelle travaille des économistes très hétérodoxes, et l’allocation minimum universelle: une dotation qui serait versée par l’Etat à chacun sans conditions de ressources et qui permettrait de bouffer. Apres, ceux qui ont besoin de plus travaillent. Les autres s’en contentent. Mais le problème de fond est toujours le même: qui va payer pour ca, demanière à ce que ca reste équitable.

    Comme on ne va pas changer le monde tout seuls, la décision de ne pas travailler et de vivre des allocs me semble cohérente si on essaie de faire le max par soi même (ce qu' »ils semblent tous faire, potager, entraide pour le déplacement et les vacances, les bouquins, fripiers et emmaus), et un peu de bénévolat: c’est souvent du travail utile, et ca compense le RMI (même si la majorité d’entre eux estiment avoir largement ‘payer leur dette à la société’ en ayant effectué un travail pénible pendant des années. ca se défend individuellement, mais collectivement, soucis…)

    Et puis il y a une autre solution, non proposée par le docu. Inventer une autre forme d’entreprise. Ya des coopératives bio ou autre qui tournent bien, respectueuse de l’humain. Ayant très peu travaillé dans des grosses boites internationalisées (et comme expert donc pas vraiment membre de la boite), j’ai halluciné devant les reportages sur la boite de pizza et celle de télémarketing. Ce qui m’a fait le plus halluciné, en fait, ce sont les managers. Mais comment font-ils? Comment y croient-ils? Comment se regradent-ils dans la glace? On aurait dit des imitations à la Poolvorde tellement ca semble pas possible en vrai.

    J’en ai de la chance, de faire un boulot ‘éthiquement compatible’ (prof, ca l’est, non? )

  3. 3

    Pistil said,

    D’accord avec vous deux. La solution n’est pas, sur le plan collectif, ni même peut-être sur le plan individuel, de ne pas travailler tout en vivant sur l’argent d’aides diverses. Comme je le suggérais, peut-être pas assez fortement, c’est plutôt les alternatives au travail salarié « classique » qui m’intéressent, ainsi que le développement de l’autonomie.

    N’empêche que ce documentaire me semble important. Pas comme « base de réflexion collective » : je suis pas sûre que ce soit son but. Simplement il a le mérite de faire tomber le cliché du « tout travail est une bonne chose en soi ». On est dans le ressenti plus que dans la réflexion, mais ce rejet est – du moins en ce qui me concerne – nécessaire pour faire une place à la réflexion.

    Mary : « Je crois que lorsqu’on veut sortir du cercle du travail, on s’engage dans une vie différente » … Je n’aurais pas mieux pensé 🙂

    Mowgli … je suis prof. Et je me pose la question.

  4. 4

    mowgli said,

    Mon imaginaire collectif te vois bien prof de littérature ou prof de philo…. j’ai raison?

    Ah, et puis, moi aussi je me pose la question (intellectuellement et au niveau du fait de travailler dans une institution avec des règles, des contraintes et une philosophie a laquelle je ne souscrit pas forcement). je crois qu’on est plusieurs dans ce cas sur la ligne simple (cf mme irza). un ti post pour nous faire part de tes reflexions à ce sujet?

  5. 5

    Pistil said,

    Non, je ne suis pas prof de lettres ni de philo – mais flattée de ce que ton imaginaire me prête !
    Pour le post, la réflexion mûrit … dans l’angoisse :s


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